Guerre civile ; la moins pire des guerres

 
Chateaubriand

Chateaubriand

 
 

François-René, vicomte de Chateaubriand [1768 -1848], est un écrivain et homme politique français.

Chateaubriand s'inscrit politiquement dans la mouvance royaliste. Plusieurs fois ambassadeur auprès de souverains divers, il est nommé ministre des Affaires étrangères de 1822 à 1824 sous la Restauration et compte, sous le règne de Charles X, parmi les ultraroyalistes. Les nombreuses responsabilités politiques et diplomatiques qui jalonnent sa carrière ainsi que son goût pour le voyage, en Amérique puis dans le bassin méditerranéen, structurent une vie marquée par l'exil et la nostalgie de la stabilité.

Le texte suivant est tiré de ses Mémoires d’outre-tombe (livre 33, chapitre 4).

 

 
 
Capture d’écran 21-02-2021 13.30.51.png
 
 

Viendra peut-être le temps, quand une société nouvelle aura pris la place de l’ordre social actuel, que la guerre paraîtra une monstrueuse absurdité, que le principe même n’en sera plus compris ; mais nous n’en sommes pas là.  Dans les querelles armées, il y a des philanthropes qui distinguent les espèces et sont prêts à se trouver mal au seul nom de guerre civile : « Des compatriotes qui se tuent ! des frères, des pères, des fils en face les uns des autres ! ».  Tout cela est fort triste, sans doute ; cependant un peuple s’est souvent retrempé et régénéré dans les discordes intestines.  Il n’a jamais péri par une guerre civile, et il a souvent disparu dans des guerres étrangères. Voyez ce qu'était l'Italie au temps de ses divisions, et voyez ce qu'elle est aujourd'hui. Il est déplorable d'être obligé de ravager la propriété de son voisin, de voir ses foyers ensanglantés par ce voisin ; mais, franchement, est-il beaucoup plus humain de massacrer une famille de paysans allemands que vous ne connaissez pas, qui n'a eu avec vous de discussion d'aucune nature, que vous volez, que vous tuez sans remords, dont vous déshonorez en sûreté de conscience les femmes et les filles, parce que c'est la guerre ? Quoi qu'on en dise, les guerres civiles sont moins injustes, moins révoltantes et plus naturelles que les guerres étrangères, quand celles-ci ne sont pas entreprises pour sauver l'indépendance nationale. Les guerres civiles sont fondées au moins sur des outrages individuels, sur des aversions avouées et reconnues ; ce sont des duels avec des seconds, où les adversaires savent pourquoi ils ont l'épée à la main. Si les passions ne justifient pas le mal, elles l'excusent, elles l'expliquent, elles font concevoir pourquoi il existe. La guerre étrangère, comment est-elle justifiée ? Des nations s'égorgent ordinairement parce qu'un roi s'ennuie, qu'un ambitieux se veut élever, qu'un ministre cherche à supplanter un rival. Il est temps de faire justice de ces vieux lieux communs de sensiblerie, plus convenables aux poètes qu'aux historiens : Thucydide, César, Tite-Live se contentent d'un mot de douleur et passent.

La guerre civile, malgré ses calamités, n'a qu'un danger réel : si les factions ont recours à l’étranger ou si l'étranger, profitant des divisions d'un peuple, attaque ce peuple ; la conquête pourrait être le résultat d'une telle position. La Grande-Bretagne, l'Ibérie, la Grèce constantinopolitaine, de nos jours la Pologne, nous offrent des exemples qu'on ne doit pas oublier. Toutefois, pendant la Ligue, les deux partis appelant à leur aide des Espagnols et des Anglais, des Italiens et des Allemands ceux-ci se contrebalancèrent et ne dérangèrent point l’équilibre que les Français armés maintenaient entre eux.

 
ChateaubriandCommentaire